Culture du viol : l’affaire Miss Sénégal déclenche une vague d’indignation dans le pays. Elue reine de beauté en 2020, Ndeye Fatima Dione affirme avoir été victime de violences sexuelles et s’être retrouvée enceinte à la suite d’une agression. La jeune lauréate assure avoir été violée lors d’un voyage organisé par le comité d’organisation des Miss. « Avant même que la compétition commence, l’animateur m’a invitée à dîner un soir. Il a commencé à me toucher et je n’ai pas accepté », raconte au Monde une autre Miss, quatre ans après les faits, sous le couvert de l’anonymat.
Elle assure que les Miss acceptant les avances étaient valorisées lors du concours. Après la réaction de sa présidente qui a fait scandale, les militantes féministes ont appelé à la mobilisation. Face à l’ampleur du scandale de la mobilisation, les langues commencent à se délier au Sénégal. « En colère », « choquées », « révoltées » : plus de 200 femmes ont répondu mardi 23 novembre, devant le tribunal de Dakar, à l’appel d’organisations féministes et de protection des droits humains. Individuellement, elles ont porté plainte pour « apologie du viol » contre la présidente du comité d’organisation de Miss Sénégal, Amina Badiane. Quelques jours plus tôt, au cours d’une conférence de presse, cette dernière avait suscité un tollé, en déclarant : « Un viol implique deux personnes […]. Alors si on te viole, c’est que tu l’as cherché. Elle est majeure »!
Elle réagissait aux accusations de Miss Sénégal 2020, Ndeye Fatima Dione, qui affirme avoir été violée lors d’un voyage organisé par le comité, et être tombée enceinte à la suite de cette agression. Une pétition lancée par la plate-forme Ladies Club pour demander « le retrait immédiat de la licence d’exploitation et la dissolution de ce comité qui fait clairement, par la voix de sa présidente, l’apologie du viol » a rassemblé plus de 61 000 signatures. Les propos d’Amina Badiane, qui a rapidement publié une vidéo d’excuse sur les réseaux sociaux, ont provoqué une vague d’indignation sur les réseaux sociaux dans la société sénégalaise.
Dans la foulée, le groupe de distribution automobile CFAO a rompu son partenariat avec le comité du concours de beauté, dont il était le sponsor.
Du côté du gouvernement, la ministre de la Femme a demandé que cette affaire soit tirée au clair et encouragé officiellement les victimes à « dénoncer en vue d’obtenir réparation car ce sont les violeurs, le vrai problème ». Une telle mobilisation est inédite dans l’histoire de la lutte pour les droits des femmes au Sénégal, assure Nina Penda Faye, journaliste et activiste féministe, à la sortie du tribunal. L’affaire Miss Sénégal est l’occasion pour les militantes d’attirer l’attention sur le « vrai » combat : « Ce n’est pas un problème entre deux femmes. Ce sont les violeurs et la culture du viol, les vrais problèmes », s’insurge Wasso Tounkara, présidente de l’association Genji Hiphop, qui espère que la justice se saisisse du dossier.
Auparavant considéré comme un délit, le viol est devenu un crime au Sénégal depuis la loi de janvier 2020, avec un délai de prescription de dix ans. « Après toutes les années de lutte pour obtenir cette criminalisation, c’est déplorable d’entendre une sénégalaise tenir des propos pareils, et ça n’envoie pas le bon message aux victimes », s’emporte Nina Penda Faye. « Malgré cette loi, beaucoup de femmes n’osent toujours pas porter plainte parce qu’on le sait, dans notre société, on a habitué les filles à ne pas cafter », admet la militante.
Par leur action, les femmes rassemblées mardi entendaient, dit-elle, envoyer « un message fort aux survivantes » : « N’ayez pas peur de dénoncer vos bourreaux. Il est temps de briser la loi du silence ». Face à l’ampleur du scandale et de la mobilisation, les langues commencent à se délier. D’autres lauréates du concours de beauté dénoncent depuis quelques jours des comportements malsains dont elles auraient été victimes. Et les appels à l’ouverture d’une enquête sur les coulisses du comité des Miss se multiplient. « Le combat pour la libération de la parole ne fait que commencer », conclut Nina Penda Faye.
Pour le moment, Ndeye Fatima Dione n’aurait pas encore porté plainte, selon plusieurs sources. « Mais si elle nous sollicite, nous sommes prêtes à l’accompagner », assure Coumba Gueye Ka, de l’Association des juristes sénégalaises, qui se félicite que le tollé entraîne une libération de la parole, signe que « le temps de la souffrance en silence est révolu ». Mais elle regrette que les victimes n’aillent pas davantage porter plainte, alors même que la nouvelle loi qui transforme le viol en crime, c’était auparavant considéré comme un délit et ça a allongé le délai de prescription de trois à dix ans.
Porter plainte pour violence sexuelle au Sénégal reste un chemin de croix, comme avait pu le constater Adji Sarr, employée d’un salon de massage qui, en février, avait accusé l’opposant politique Ousmane Sonko de l’avoir violée. L’affaire avait déclenché de violentes émeutes et profondément divisé le pays. La plaignante, dont la parole a été peu prise en considération jusqu’aujourd’hui, a apporté son soutien à Ndeye Fatima Dione dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
« Je compatis…J’espère que cette fois-ci, l’Etat va prendre ses responsabilités pour protéger ses filles », a-t-elle affirmé lundi 29 novembre, face à la caméra. D’après la journaliste et militante féministe Jaly Badiane, la crainte de porter plainte après un viol est très ancrée au Sénégal. « Nous sommes un pays de conciliation, où domine la « sutura », c’est-à-dire la discrétion, et la victime est souvent culpabilisée, explique-t-elle.
Dénoncer son agresseur ne relève pas d’une décision personnelle mais collective, qui implique les parents et l’ensemble de la famille. Jaly Badiane regrette aussi une faible application de la nouvelle loi, qui « n’a rien changé dans le mécanisme de prise en charge » dans les commissariats ou par les juges. Elle encourage donc toutes les Miss à porter plainte de façon collective contre le comité et appelle la gagnante de 2021 à rendre sa couronne « pour marquer son soutien à toutes les femmes ».
Majoie Kisalasala/correspondante en France