Elisabeth Tshala Muana, la Mamu nationale tire sa révérence

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La République Démocratique du Congo se réveille ce matin du 10 décembre 2022, avec la triste nouvelle de l’annonce de la mort, de l’artiste congolaise Tshala Muana par son compagnon Claude Mashala sur les réseaux sociaux. Le journal Vraie Thématique a souhaité revenir sur le parcours exceptionnel de cette grande dame qui a su révolutionner la musique congolaise. Elisabeth Tshala Muana Mudikayi, de nationalité congolaise, originaire du Kasaî Occidental, est née le 13 mai 1958 à Elisabethville (aujourd’hui Lubumbashi). Elle est célèbre pour avoir modernisé et donné ses lettres de noblesse au folklore du peuple Luba, le Mutwashi. Surnommée « Reine de Mutwatshi ». Cette dernière est également appelée la Mamu nationale (mère de la nation). Elisabeth Tshala Muana est la deuxième d’une fratrie  de dix enfants. Elle est la fille d’Amadeus Mudikayi, militaire et d’Alphonsine Bambiwa Tumba. En 1964, à peine âgée de six ans, elle perd son père, assassiné à Washa par les maquisards mulelistes pendant la guerre du Katanga. Elle est élevée par sa mère qui décède en 2005. La petite Elise chante depuis son enfance à l’église du camp militaire de Kibembe à Elisabethville. En 1967, deux ans et demi après la mort de son père, elle s’installe avec sa mère à Luluabourg (aujourd’hui Kananga), où elle a fait ses études primaires et une partie de ses études secondaires. Comme bien de jeunes filles de sa génération, elle baigne dans la culture musicale de sa contrée, où la musique avec ses rythmes traditionnels est à la fois un loisir mais également un instrument d’éducation, ce qui fait naître en elle le goût pour les musiques et les danses traditionnelles. La jeune fille s’intéresse à la danse et à la musique de son terroir, du Kasaî profond, exécutée à la fois par les hommes et par les femmes, luluwa, qui chantent en toutes circonstances, en berçant son enfant, en pilant le maïs, en labourant la terre, en animant les cérémonies de fête ou de deuil, etc. L’intérêt jadis affiché pour la danse et la musique traditionnelle s’est transformé en ambition de tout faire afin que cette culture qu’elle chérit traverse un jour, les frontières de la République Démocratique du Congo. La voilà qui quitte la ville de sa jeunesse pour Kinshasa la belle. Arrivée dans la capital congolaise à l’âge de dix-huit ans, plus précisément en 1976, elle est séduite par les prouesses de jeunes danseuses qui accompagnent les grands orchestres comme Afrisa international, OK Jazz.  C’est l’époque des rocherettes, des majorettes, des tigresses du groupe Les Redoutables d’Abeti Masikini. Mais elle est séduite également par des voix des idoles féminines des années 1970. On peut citer, Abeti Masikini, Eyenga Moseka, Etisomba et Mpongo Love. Tshala Muana démarre sa carrière à Kinshasa en 1977, comme danseuse/choriste dans le groupe Tshéké-Tshéké Love, de son idole féminine Mpongo Love. Peu après, la jeune danseuse quitte cet orchestre et s’essaie dans la chanson en travaillant avec Laurent Galant et Rachid Kîng. Elle compose ses chansons en Tshiluba. En 1978, c’est la rencontre avec celle qu’on appelle à Kinshasa « Tantine » Abeti Masikini. Tshala Muana est recrutée comme danseuse et choriste dans le groupe. Malgré les 45 tours qu’elle a produits. Influencée par Abeti Masikini qui utilisait des langues vernaculaires dans la chanson, Tshala Muana est nourrie de l’espoir d’en faire autant dans sa carrière. La détermination d’exploiter son talent de danseuse l’amène à intégrer le groupe Minzoto Wela Wela, un groupe né de cendres de l’orchestre Minzoto ya Zaïre, créé par le père Buffalo. Il est facile d’imaginer que la touche folklorique de la musique de Minzoto aurait attiré Tshala Muana, mais là encore, elle a la difficulté à se faire connaître comme chanteuse et danseuse, car jusque-là il n’y avait personne pour l’encadrer. Au début des années 1980, Tshala Muana explose sur le plan musical, non pas à Kinshasa où domine la rumba en lingala, mais à l’extérieur du pays. Tambour d’Afrique a écrit brièvement sur ses prouesses musicales. A Abidjan, l’artiste insuffle la musique congolaise avec le « Mutwashi », cette danse au déhanchement suggestif à couper le souffle. La star séduit et conquiert la Côte d’Ivoire ainsi que l’Afrique de l’Ouest : le sacre viendra surtout de ses Show-live, où elle étale toutes ses prouesses artistiques en tant que bête de scène. Pendant trois ans, ses show-live dans les stades en Côte d’Ivoire et dans certains pays limitrophes se font quasiment à guichet fermé, appuyés en cela par les arrangements de l’artiste ivoirien Jimmy Hyacinthe et Souzy Kasseya. Pour la plupart des observateurs et critiques objectifs de la musique panafricaine, la Reine de Mutwashi fait partie désormais du lot d’artistes congolais qui « ont hissé très haut le drapeau congolais sur l’échiquier musical international ». Désormais Tshala Muana s’impose comme une artiste de talent et impose le Mutwashi avec des nombreuses chansons puisées dans la tradition musicale Luluwa et d’autres composées en lingala. Les soubresauts de la transition politique commencée en 1990, l’obligent à s’installer à Paris. Avec le soutien artistique de Jojo Kashama, Chico Mawatu et Bibi Den’s. Tshala Muana travaille fort et enrichit son répertoire avec plusieurs titres tels que : « Malu », « Nguma Yanyi », « Nasi na bali  », « Muamba » et d’autres. Elle opte pour le show-business. A partir de là, la star va sortir 19 albums et faire le tour des grandes salles en Afrique, en Europe et en Amérique du Nord. Par ailleurs, la chanteuse a derrière elle, une histoire inscrite dans la tradition Luluwa-Luba, une histoire qui la couronne parmi les grands chefs coutumiers du Kasaî. En effet, elle a été intronisée « Reine Kasa Wa Tshanda », le samedi 24 mars 1990 à Kananga par les grands chefs coutumiers des deux Kasaî, notamment l’ancien député Ilunga Luakabwanga, chef Bakuba, Sapu, Demba, Kanyuka, Luandanda, pour ne citer que ceux-là. Meta Sankulu est la première femme à mériter cet hommage en 1958 et Tshala Muana est la seconde en 1990. Depuis lors, Tshala Muana était devenue la « Reine Kasa wa Tshanda », qui signifie le ballon des sorciers. Désormais vivants et morts devront la soutenir dans toutes ses actions et tous les chefs coutumiers lui ont donné chacun une bénédiction fétichiste qui la soutiendra durant toute sa carrière et toute sa vie.

Montée au firmament

Après cette intronisation, l’artiste a passé deux ans à l’étranger pour des productions scéniques en Afrique et en Europe, dont la plus marquante est celle des  8 et  9 mai au Zénith. Le 24 juin 1992, elle est plébiscitée « Meilleure chanteuse africaine » et « Miss Afrique » car elle était la plus belle chanteuse africaine. Le jury lui a décerné une médaille d’or et une coupe. Tshala Muana a eu un parcours élogieux que plusieurs n’ont pas encore découvert. En 1997, de retour au pays, après une vingtaine d’années passées à Paris, la star s’engage en politique, épaulée par le président Laurent-Désiré Kabila. Elle fonde l’association REFECO (Regroupement des femmes congolaises). De 2000 à 2002, elle siège comme députée au sein de l’ACLPT (Assemblée constituante et législative du Parlement de transition). En 2003, Tshala Muana renoue avec la scène musicale ; elle est encadrée par son manager Claude Mashala et elle crée son groupe appelé Dynastie Mutwashi, elle produit au cours de la décennie,des œuvres qui lui procurent encore un grand succès et plusieurs distinctions sur toute l’étendue de la RDC et en dehors des frontières nationales ». Grâce à Dinanga (Amour), l’artiste obtient la palme de Meilleure Vedette Féminine de la RDC, en 2002, décernée par l’Association de chroniqueurs de Musique Congolais (ACMCO). Malu (problème), son vingt-unième album enregistré et produit à Paris, lui redonne son succès d’antan à travers toute l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du Nord, lui permet d’obtenir le prix de Meilleure Artiste Féminin au Kora 2003.  L’album Malu a été vendu à plus de 526 000 exemplaires, d’après la maison de production JPS, sans compter la vente effectuée par les pirates. Après ses concerts à Brazzaville et à Pointe-Noire au Congo en 2004, elle est sacrée « Meilleure Artiste Féminine » au Bénin en 2005. Elle devient ensuite présidente de la Ligue des femmes du PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie). Parti politique créé en 2002 par le président Joseph Kabila. Son soutien à ce dernier lui vaut l’inimitié de ses opposants. En raison du boycott politique de ses concerts, sa dernière production scénique date de 2010 à Paris. En 2011, elle est battue aux législatives dans la circonscription de Kananga. En 2020, à l’âge de soixante-deux ans, elle fut arrêtée pour avoir dénoncé en terme voilé le président Tshisekedi dans une chanson intitulée : « Ingratitude ». Rappelons qu’à partir des années 2000, Tshala Muana, assure elle-même la production de sa musique et à partir de 2008, celle de jeunes talents, notamment MJ30, Jos Diena, Lula Tshanda et Boss Bosombo. Le corps de l’illustre disparue a été déposé à la morgue de l’hôpital du Cinquantenaire de Kinshasa. Cependant les causes de sa mort n’ont pas encore été révélées. Cette femme politique, chanteuse, auteure-compositrice, danseuse et productrice est morte à l’âge de soixante-quatre ans. Ses multiples casquettes nous prouvent que son parcours sur terre n’avait rien de commun et qu’elle a bousculé les codes,  en égayant ses contemporains. La Vraie Thématique souhaite toutes ses condoléances à la famille éplorée, à tout le corps musical, à ses collègues de la classe politique et à toute la nation congolaise. On souhaite bien du repos à cette ambassadrice de la musique congolaise qui a sillonné le monde afin de représenter la musique congolaise et défendre le droit des femmes.

Majoie Kisalasala

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