Guerre à l’Est : l’exemple de la Russie est une des solutions ?
« Il me semble à l’évidence impensable de croire qu’un pays de la sous-région des Grands Lacs peut prospérer dans la paix et la sécurité et se stabiliser durablement tant que son voisin est en ébullition et surtout si ce pays sert de base arrière à des groupes armés ou encore en devient le parrain.» Le chef de l’État de la RDC, Félix-Antoine Tshisekedi s’exprimait ainsi devant les diplomates congolais fin février 2022. Ce qui est impensable pour le chef de l’État congolais relève de la logique des « Surprises stratégiques ». Et le monde est plein d’exemples concrets dont Poutine en sort aujourd’hui grand stratège.
Les surprises stratégiques émanent des études sur le renseignement (intelligence studies) ayant pour but de relever les chocs à venir à partir de l’anticipation. Lorsqu’on interroge l’histoire récente du monde, l’on peut citer le cas du Soudan. En 1998, les autorités soudanaises informent les États-Unis qu’elles détiennent deux hommes soupçonnés d’avoir lancé des bombes dans les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie et sont prêtes à remettre une liste de 200 combattants de Ben Laden. Les États-Unis rejettent l’offre de coopération avec le Soudan et optent pour le bombardement de l’usine pharmaceutique d’Al Shifa.
Le Soudan relâche les deux hommes. Le 11 septembre 2001, le réseau Al Qai’da attaque l’Amérique. En 2014, Poutine attaque l’Ukraine et annexe la Crimée à la Fédération de Russie. En 2016, Jacques Attali prophétise sur le scénario d’une attaque préemptive que Moscou lancerait contre l’Ukraine avant de songer à l’intégrer dans l’OTAN ou relierait l’enclave de Kaliningrad au reste de la Fédération de Russie.
STRATEGIE
Comment a-t-on cru que Poutine avait abandonné sa stratégie payante de 2014 avec l’annexion de la Crimée ? En 2021, le président américain Joe Biden décèle dans le regard de Poutine cette volonté d’envahir l’Ukraine.
En février 2022, le président français Emmanuel Macron visite Poutine, mais ne sait pas lire les intentions de son hôte et repart avec une promesse de paix des braves.
Plus près de nous, le Rwanda de Paul Kagame offre des cas concrets de surprises stratégiques. En 2004, alors que le RCD/Goma occupe le poste clé de vice-président de la République chargé de la Défense, Laurent Nkunda crée le CNDP et, avec Jules Mutebuzi, attaque Bukavu. Après la conférence de Goma de 2008 qui consacre l’intégration et le mixage des troupes du CNDP dans les Forces armées de la RDC, le Rwanda crée le M23 avec le colonel Makenga.
Ce, au moment où Joseph Kabila croyant préserver la paix dans la région, protège Bosco Ntaganda contre la CPI. A Beni, un journaliste est arrêté pour avoir dénoncé le plan du départ des colonels Sekopere Muhigo (jeune frère de Nkunda) et Richard Bizamaza. Lors de la conférence qu’il donne, Sekopere Mihigo fait cadeau de son écharpe au maire de Beni, Nyonyi Bwanakawa pour lui témoigner de son amour à défendre la RDC. Ils finiront par rejoindre le M23 en sabotant le dépôt d’armes des FARDC. La bonne foi de Joseph Kabila fut trompée malgré les assurances du Rwanda.
En novembre 2021, alors que Félix-Antoine Tshisekedi joue les bons offices pour réconcilier Kagame et Museveni, les troupes spéciales rwandaises attaquent la colline de Tchanzu. Félix-Antoine Tshisekedi permet même à Paul Kagame de fouler le sol de Goma et de se rendre à Kinshasa. En février 2022, une nouvelle attaque est lancée. Paul Kagame sèche la 10èmesession du mécanisme de suivi de l’Accord de paix d’Addis-Abeba tenue à Kinshasa.
Contrairement à l’idée répandue et soutenue par les spécialistes du renseignement dont Laurent Numez, selon laquelle les surprises stratégiques ne se présentent jamais de la même façon, avec le même visage et les mêmes causes dès lors que le contexte évolue en permanence, dans le cas de Poutine et Paul Kagame, les surprises stratégiques obéissent à une obsession d’annexer une partie du territoire de son voisin.
Les surprises stratégiques procèdent de l’anticipation qui est un facteur au cœur même de l’activité du renseignement, si pas sa raison d’être. Comment personne n’a vu venir Poutine au point de douter de ses intentions d’envahir l’Ukraine même deux heures avant ? Comment la RDC n’arrive toujours pas à lire les intentions avérées de Kigali d’envahir une partie de la RDC ? A force d’être trop concentré sur des objectifs identifiés, on en vient trop souvent à oublier de regarder devant soi ou de regarder dans le rétroviseur. Rien n’assure que le voisin ne va pas surprendre à l’approche des élections.
DISTRACTION
Paul Kagame s’improvise en pacificateur lors de sa récente sortie médiatique, au sujet de la relation chaotique entre son pays, le Rwanda et la République Démocratique du Congo, RDC.
Il estime que le conflit entre le Rwanda et la RDC touchera à sa fin avec des solutions pacifiques. Il ne jure que par le rétablissement de la paix en RDC, mais également au Rwanda.
« Les problèmes dans cette région ne peuvent être résolus par la force des armes, ils nécessitent des solutions politiques », préconise Paul Kagame. Et de renchérir : « Nous avons besoin de paix, nous deux, il faut qu’il y ait la paix au Rwanda et il faut qu’il y ait la paix en RDC… La RDC a des problèmes auxquels elle doit faire face, tout comme nous avons les nôtres en tant que pays souverains ».
Ce président accuse par la suite les groupes armés de la RDC à attaquer et tuer le peuple Rwandais.« Nous avons eu des bombardements depuis le territoire de la RDC vers le Rwanda, qui ont tué des gens et endommagé des biens à plusieurs reprises », conclut-il.
CAPACITE A DEVANCER ET A PREVOIR
Félix-Antoine Tshisekedi doit comprendre que depuis la chute du maréchal Mobutu, la RDC est dans une guerre de retard sur les visées de Kagame.
Elle a besoin de l’anticipation entendue comme une capacité à devancer et à prévoir, donc à prévenir des événements futurs. Gouverner, ce n’est plus prévoir, mais pouvoir agir. L’exemple de Poutine aidant, la RDC doit considérer le Rwanda dans son rôle de voisin aux visées expansionnistes. Félix-Antoine Tshisekedi, commandant suprême des FARDC et garant de la nation, est appelé à prendre la mesure du danger, à renforcer l’État de siège, à équiper les troupes et les services du renseignement de façon à éviter les surprises stratégiques. Déjà, des signes avant-coureurs sont susceptibles de la mauvaise intention du voisin rwandais et surtout de sa volonté expansionniste à l’image de Vladimir Poutine. Kagame a été absent à la réunion d’Oyo (au Congo Brazzaville) qui devait tourner sur le problème de la sécurité à l’est de la RDC. De plus, on ne comprend pas comment des éléments subversifs soutenus par le Rwanda puissent disposer d’un matériel ultrasophistiqué qui leur permet d’opérer de nuit et à distance, s’ils ne sont pas appuyés par un voisin hostile. De ce point de vue, Félix Tshisekedi n’est pas dupe. S’adressant à des diplomates congolais réunis dernièrement à Kinshasa, il leur a notamment déclaré : « Il est irréaliste et improductif de croire, voire suicidaire pour un pays de notre sous-région de penser qu’il tirerait des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins ». Ne faisait-il pas allusion au Rwanda et au Vladimir Poutine du continent africain ?
J-P Ebonga