Japon : Quand la prison devient une issue de secours

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Au Japon, la prison est préférable à la pauvreté. Pour pallier la pauvreté et la solitude, des hommes et femmes de plus de soixante-cinq ans

cherchent activement à aller derrière les barreaux. Pourquoi la population aînée au Japon souhaite-t-elle terminer sa vie en prison ? La prison plutôt que la liberté, c’est une tendance qui perdure au Japon chez les personnes âgées. Plusieurs personnes âgées vivant dans la pauvreté commettent volontairement des crimes afin d’aller au pénitencier. Eric Bruneau, qui revient du Japon, nous fait part de ses observations sur ce peuple qu’il trouve fascinant. Malgré la densité de la population, tout est propre et personne ne se bouscule, relève-t-il. Le taux de suicide de cette population est toutefois très élevé. Il souligne que la dignité et l’honneur sont primordiaux pour eux et pour elles. Avec le coût de la vie qui augmente, il est de plus en plus difficile de joindre les deux bouts. La prison devient donc une option à considérer afin d’avoir un toit au-dessus de la tête et de bénéficier de soins et de repas. Les hommes et les femmes les plus démunis se sentent plus en sécurité derrière les barreaux.

Un témoignage qui en dit long                           

Il se chauffait au soleil d’hiver dans ce petit parc désert du quartier à la population aux revenus modestes d’Arakawa, au nord de Tokyo. Âgé, emmitouflé dans une parka qui avait connu des jours meilleurs, un bonnet sur le crâne, il portait une barbichette clairsemée. Échange de sourires. La conversation s’engage sur l’hiver ensoleillé japonais, la vie d’autrefois, la pension insuffisante, la solitude des personnes âgées… « Demain j’irai à la prison voir un ami, ce n’est pas un criminel, il a mon âge (soixante-dix-huit ans) et il a été arrêté pour un vol à l’étalage dans une supérette. Il voulait se faire arrêter. En prison, il a chaud, il est nourri et s’il est malade, on s’occupe de lui… Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans… Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui ». Le Japon a le plus faible taux de criminalité du monde et une population carcérale relativement peu nombreuse par rapport à d’autres démocraties avancées. Mais celle-ci vieillit vite. Reflet de l’évolution démographique de l’archipel ? Pas seulement.

Sénilité et incontinence

Le Japon a la médaille d’or en espérance de vie, mais la proportion des actifs dans la population se réduit et un quart de la population a plus de soixante-cinq ans (40% en 2050). La délinquance des Japonais âgés (et surtout des femmes de la même tranche d’âge) est un phénomène apparu depuis une décennie qui va en s’aggravant. Même à un âge avancé, la prison ferme reste la norme au Japon.  Lors des promenades, de courtes pauses sont obligatoires. Dans un pays vieillissant où les seniors représentent près d’un habitant sur trois, la délinquance vieillit également et le système carcéral s’adapte. À Fuchu, dans la banlieue de Tokyo, la prison n’a plus grand-chose à voir avec les clichés de l’univers carcéral. Dans les couloirs, ce ne sont plus seulement des détenus jeunes et tatoués qu’on croise, mais également des cheveux gris, des dos voûtés et même des déambulateurs. Le phénomène, dévoilé dans un reportage signé TF1 Info, ne cesse de prendre de l’ampleur. Au Japon, de plus en plus de personnes âgées préfèrent être derrière les barreaux que d’être libres. À la prison de Fuchu, au Japon, 20%  des détenus ont dépassé les soixante-cinq ans. Certains flirtent même avec les quatre-vingt-dix. Pour accompagner cette population inédite, les cellules s’équipent, les gardiens se forment aux soins, et des programmes de rééducation font leur apparition. Depuis cinq ans, la prison de Fuchu a instauré des séances de rééducation. Pendant que les plus jeunes travaillent, quelques détenus âgés font, eux,  de la remise en forme avec ergothérapeute. Des soins gratuits pour des prisonniers seniors, rien de choquant au Japon. « Je suis content de faire cette gymnastique en prison », confie M. Tanaka, quatre-vingt-sept ans, en pleine séance de remise en forme. Pour lui, c’est une routine presque rassurante. Il en est à son quatrième séjour en dix-sept ans. Le dernier pour un simple vol de lame de rasoir. Le hic, c’est qu’il est loin d’être un cas isolé. Ces dernières années, le nombre de seniors incarcérés a explosé. Mais pour quelles raisons ? La réponse, elle, est moins visible, mais bien plus alarmante. La vérité, c’est que dehors, la vie est souvent bien plus dure. En temps normal, M. Tanaka touche environ quatre-cent euros par mois d’aide sociale. À cet âge, plus question de trouver un emploi. Quant à la maison de retraite, elle est hors de portée. « Parfois, je me sens coupable de récidiver afin de revenir en prison. Mais je n’ai pas le choix », dit-il avec pudeur.                              Nourri, logé et soigné

La prison de Fuchu a dû s’adapter à cette nouvelle population, notamment sur les produits de première nécessité. Plus de mille huit-cent couches sont distribuées chaque mois. Yuji est gardien de prison depuis vingt ans. Aujourd’hui, son métier ressemble parfois plus à celui d’aide-soignant qu’à celui de surveillant pénitentiaire. Les détenus âgés sont trop séniles pour comprendre leur état. « Une fois, j’ai demandé à ce que l’un d’entre eux me montre la douleur qu’il avait. Et là, j’ai vu de grosses engelures. Ils pensent que les antidouleurs suffisent. Alors, je dois rester très vigilant ». Un prisonnier classique coûte environ cinq mille euros au Japon. Par contre, les factures de soin peuvent vite grimper lorsque le détenu est âgé. Sur l’archipel, un senior sur cinq vit toujours sous le seuil de pauvreté. La prison est considérée au Japon comme un agent rassurant où les personnes âgées peuvent se nourrir et se soigner.

Spécialisés dans le vol                                            

Les journalistes ont rencontré une femme de soixante ans. C’est son deuxième séjour en prison pour vol de nourriture. Un acte qu’elle ne regrette pas. « Si j’avais été stable financièrement et avec un style de vie confortable, je ne l’aurais certainement pas fait », a témoigné la tokyoîte. Lorsqu’elle est passée à l’acte, la Japonaise n’avait plus que quarante dollars (trente-huit euros) en poche. Se nourrir, se chauffer, être entourée. Des besoins simples, mais souvent hors de portée pour certaines femmes âgées au Japon. Derrière les murs, elles trouvent ce qui leur manque à l’extérieur : des repas réguliers, des soins médicaux gratuits et une forme de communauté. Ce phénomène révèle les limites d’un système face à une population vieillissante. Certaines femmes se déplacent avec des déambulateurs ou nécessitent une assistance afin d’accomplir les gestes du quotidien. En 2002, plus de 80% des détenues âgées du pays étaient en prison pour vol, selon les chiffres du gouvernement. La pauvreté est un mal de la vieillesse au Japon. 20% des personnes de plus de soixante-cinq ans dans l’archipel vivent dans la pauvreté contre 14,2 % en moyenne dans les trente-huit pays membres de l’OCDE selon l’organisation.

Pourquoi ce choix ?

« Il y a des gens qui viennent ici parce qu’il fait froid ou parce qu’ils ont faim », a résumé Shiranaga, le gardien de prison. Les prisonniers qui tombent malades « peuvent bénéficier de soins médicaux gratuits pendant leur séjour en prison, mais une fois sortis, ils doivent les payer eux-mêmes, c’est pourquoi certains veulent rester ici le plus longtemps possible ». Le nombre de prisonniers âgés de soixante-cinq ans ou plus a presque quadruplé entre 2003 et 2022. Ce qui a des conséquences pour le personnel pénitentiaire. Ces personnes âgées, souvent isolées en difficulté financière, trouvent derrière les barreaux une structure qui répond à leurs besoins essentiels. « Certaines viennent ici parce qu’il fait froid ou parce qu’ils ont faim », explique Tagayoshi Shiranaga. « Nous devons maintenant changer leurs couches, les aider à prendre leur bain, les nourrir », a souligné Shiranaga qui considère travailler presque « dans une maison de retraite ». Pourtant, cette réalité pose des questions plus larges. Alors que le Japon détient le second record mondial de la part de sa population âgée, avec un tiers des habitants ayant plus de soixante-cinq ans. Comment répondre aux besoins des aînés sans recourir à la prison comme solution de dernier recours ?

Majoie Kisalasala

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