Diplomatie : Les Pays du Sud et le Sommet du Futur, le regard de l’ambassadeur indien (à la retraite) Asoke Mukerji

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L’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) doit se réunir à New York les 22 et 23 Septembre 2024 pour un « Sommet de l’Avenir ». Cette réunion des dirigeants mondiaux aboutira à l’adoption d’un « Pacte pour l’Avenir ». Au cours de l’année écoulée, les détails du Pacte ont été discutés entre les 193 États membres de l’ONU sous la co-facilitation de l’Allemagne (représentant les pays développés du Nord) et de la Namibie (représentant les pays en développement du Sud). L’objectif du Pacte est de « préserver l’avenir des générations présentes et futures ».

L’approche de l’Inde à l’égard du Sommet du Futur de l’ONU a été articulée par le Ministre Indien des Affaires Étrangères, le Dr. S Jaishankar, en 2023. Il a souligné la nécessité de faire preuve d’une « solidarité authentique » pour générer une « véritable confiance » et intégrer le « sentiment du Sud global » dans la préparation du Sommet. Lors des discussions à l’Assemblée générale des Nations unies en mai 2024, l’Inde a averti que si ces éléments essentiels manquaient au processus, le Sommet du Futur deviendrait un « Sommet du passé », condamnant les Nations unies « à un cercle vicieux périlleux de disparition vers l’insignifiance ».

Les Pays du Sud sont composés des pays en développement membres de l’Assemblée Générale des Nations Unies, dont beaucoup sont des anciennes colonies des puissances Européennes en 1945 qui n’ont pas négocié la Charte des Nations Unies. Leur adhésion aux Nations Unies a débuté avec le processus historique de décolonisation qui a débuté après l’indépendance de l’Inde du joug colonial britannique en Août 1947.

Les Pays du Sud  sont devenus majoritaires à l’Assemblée Générale des Nations Unies, propulsés par la résolution sur la décolonisation de Décembre 1960. La première expression visible de la solidarité des Pays du Sud dans le multilatéralisme a été l’adoption par un vote à la majorité des deux tiers des résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies en Décembre 1963 visant à amender la Charte des Nations Unies. Ces amendements ont eu pour résultat d’élargir la représentation des Pays du Sud au Conseil de Sécurité de l’ONU (CSNU), qui contrôle les décisions sur la paix et la sécurité, et au Conseil Économique et Social (ECOSOC), qui contrôle les décisions de l’Assemblée Générale sur les questions socio-économiques.

Depuis 1960, le processus de consolidation et de hiérarchisation des priorités des Pays du Sud a été marqué par plusieurs étapes de négociation au sein des institutions multilatérales. Cela s’explique par la solidarité et le sentiment des Pays du Sud, fondés sur la confiance dans le fonctionnement efficace et équitable du système multilatéral interconnecté de l’après-guerre.

Parmi les réalisations des Pays du Sud, on peut citer la création du mouvement des non-alignés en Septembre 1961, qui rassemble aujourd’hui 120 États membres au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies ; la création du Groupe des 77 (ou G-77) en 1964, qui représente aujourd’hui 134 des 193 États membres de l’Assemblée Générale des Nations Unies ; la création du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1965 ; l’adoption de la Charte du G-77 d’Alger en 1967 appelant à un Nouvel Ordre Économique International ; la Décision sur le Traitement Différencié et Plus Préférable (également connue sous le nom de Clause d’habilitation) pour les pays en développement au sein du GATT (précurseur de l’Organisation Mondiale du Commerce) en 1979 ; la Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le Droit au Développement (DRTD) en tant que droit humain inaliénable en 1986 ; et la disposition relative à la Responsabilité Commune mais Différenciée (RCMD) du droit international, codifiée par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement en 1992.

Grâce à des négociations patientes et tournées vers l’avenir au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies entre 1960 et 2015, les Pays du Sud/G-77 ont réussi à inscrire le « développement » dans le courant dominant du multilatéralisme. L’adoption à l’unanimité de l’Agenda 2030 par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015, avec ses 17 Objectifs de développement durable (ODD), est une reconnaissance de ce fait. L’Agenda 2030 fait converger les intérêts communs des Pays du Nord et des Pays du Sud dans un cadre intégré centré sur l’humain, dans lequel la paix, la sécurité et le développement sont étroitement liés. C’est le sentiment que les Pays du Sud cherchent à intégrer dans la vision du Sommet du futur.

Le Sommet des Nations Unies sur les ODD, organisé en 2023 pour évaluer la mise en œuvre de l’Agenda 2030, a averti que « de nombreuses crises » depuis 2015 faisaient dérailler cette vision. Trois grandes tendances peuvent être considérées comme contribuant à ces crises.

Le premier est la résurgence du clivage Nord-Sud, qui sape la confiance dans le fonctionnement équitable des institutions multilatérales. Pendant la pandémie de Covid-19, l’Organisation Mondiale de la Santé n’a pas été en mesure d’assurer un approvisionnement adéquat en vaccins aux pays du Sud, en raison des stocks accumulés par les pays du Nord. L’Organisation Mondiale du Commerce a été contrainte, en raison de la domination des pays du Nord sur les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, de reporter la décision de renoncer à ces droits pour permettre la fabrication de vaccins dans les pays du Sud.

Le deuxième problème est le recours croissant à la force armée, au lieu de négociations diplomatiques, pour résoudre les conflits. L’inefficacité et l’insuffisance de l’autorité du Conseil de sécurité de l’ONU en raison du droit de veto du P5 ont été révélées par les souffrances humaines et les destructions à grande échelle causées par le recours à la force armée dans les conflits violents de ces dernières années. Même les résolutions unanimes du Conseil de sécurité de l’ONU pour le règlement politique de conflits tels que ceux de l’Afghanistan (résolution 2513 du Conseil de sécurité de l’ONU), de l’Ukraine (résolution 2202 du Conseil de Sécurité de l’ONU) et de la Palestine/Israël (résolutions 242 et 1860 du Conseil de Sécurité de l’ONU) n’ont pas été appliquées. Le corollaire de cette situation est l’usurpation progressive des dispositions de la Charte des Nations Unies pour l’application des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU, telles que les sanctions économiques et le recours à la force armée, par des organismes extérieurs à l’ONU comme l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Cette situation a des répercussions directes sur la paix, la sécurité et le développement dans les pays du Sud.

Troisièmement, les liens économiques interdépendants, qui ont été négociés avec acharnement par les pays du Sud au sein d’institutions multilatérales et d’organismes spécialisés sur la base de principes convenus de traitement spécial et différencié, comme indiqué ci-dessus. Une puissante combinaison de gouvernements et d’entreprises du Nord ont activement cherché à contourner ces liens par l’application extraterritoriale de leurs lois et politiques nationales. Cela a des conséquences sur la participation souveraine des pays du Sud à la coopération multilatérale. Cela a également entraîné une augmentation tangible des coûts socio-économiques liés à la mise en œuvre de l’Agenda 2030.

Si elles ne sont pas contrôlées, ces trois tendances peuvent avoir un impact délétère sur les pays du Sud, en particulier sur l’application centrée sur l’humain des nouvelles technologies numériques pour accélérer la mise en œuvre de l’Agenda 2030. L’examen par le Sommet du Futur d’un Pacte numérique mondial exige une attention particulière à ces sentiments des pays du Sud, afin de combler les fractures numériques existantes énumérées lors de l’examen par l’Assemblée générale des Nations Unies de l’Agenda de Tunis sur une société de l’information en Décembre 2015.

Lors de la réunion du 75e anniversaire des Nations Unies en 2020, le Premier ministre indien Narendra Modi avait souligné : « Nous ne pouvons pas relever les défis d’aujourd’hui avec des structures obsolètes. Sans réformes globales, l’ONU est confrontée à une crise de confiance. Dans le monde interconnecté d’aujourd’hui, nous avons besoin d’un multilatéralisme réformé, qui reflète les réalités d’aujourd’hui, donne la parole à toutes les parties prenantes, relève les défis contemporains et se concentre sur le bien-être humain. »

C’est pourquoi les Pays du Sud doivent se concentrer sur la recherche d’un multilatéralisme efficace sur le terrain lors du Sommet du Futur. La décision de convoquer une Conférence Générale des Nations Unies, comme le prévoit l’article 109 de la Charte des Nations Unies, pour réviser la Charte des Nations Unies en Septembre 2025 serait une manière appropriée de célébrer le 80ème anniversaire du multilatéralisme en intégrant les aspirations des Pays du Sud.

Par l’Ambassadeur (à la retraite) Asoke Mukerji

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