Dialogue : Encore Dialogue

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Depuis des semaines, les internautes sollicitent la communicologue pour traiter du terme de « dialogue », réalité congolaise vieille de plus de vingt ans mais réchauffée par la brûlante actualité politique. Depuis l’Accord du 27 juin 2025 à Washington jusqu’à la Déclaration du 17 juillet 2025 à Doha, les médias et la rue au Congo n’évoquent que le dialogue comme le remède idéal pour sortir de l’état de guerre actuel.

Avec aisance, les communicologues y retrouvent effectivement ce qu’est la nature première de la communication, cette instance avérée de l’altérité humaine. Nous nous efforçons donc ici de ramener à notre résidence disciplinaire et au sens originel de ce terme de « dialogue » les maints philosophes, sociologues et politologues qui sont venus y ont puiser la source de leurs diverses  inspirations. Toutefois, ces producteurs et vecteurs de la pensée ne sont pas parvenus à se doter des atouts et de valeurs de neutralité axiologique que toutes les civilisations de la planète attribuent uniquement à un messager, dont le rôle millénaire constitue à ce jour l’héritage du communicologue.

  1. Consensus et dissensus

Extirpé tardivement du dogmatisme ambiant, le terme de dissensus n’apparait dans la langue française que vers la fin du XXe siècle. Il émerge après que soient relativement effacés les contextes sociétaux de la monarchie absolutiste ainsi que de la bruyante illusion universelle de la démocratie. Car, c’est en revenant au caractère fondamental de l’altérité relationnelle, donc à la communication humaine, que les penseurs contemporains ont pris désormais option pour le retour au « partage du sensible » dans la quête de sens en situation de dialogue.

Jusque-là, l’on ne se focalisait plus que sur la mésentente radicale à propos des opinions, pour en fait dénigrer l’existence de tout dissensus. Or, le dissensus peut ne relever, ainsi que le pense Jacques Rancière, que de « la parole muette ». Celle-ci, synonyme du silence est pourtant tout à fait inévitable en situation d’interaction, tout comme elle demeure indispensable à tout espoir d’inter-compréhension.

Déjà auparavant, l’un des plus grands philosophes en communication, Jurgen Habermans, avait ouvert la voie. Il avait osé définir le fameux consensus tant recherché seulement comme une « illusion pacifiée de la communication ». Ce n’est qu’un fait de conjoncture. Le philosophe allemand estimait que les efforts fournis en abondance en faveur du consensus ne sont, en réalité, que des actes voués à tuer les tensions au profit de la prétention de l’harmonie. Or, il est préférable de mettre en sommeil une idée que la tuer.

  1. Le dissensus

Dès lors, le dissensus se trouve aujourd’hui systématiquement cultivé en science et en pratique de communication politique, dans le but de créer, alimenter et enrichir le débat. Le succès si fréquent de la technique du focus group fait foi. Le dissensus a été par la suite récupéré par la communication des organisations, en vue de générer plus aisément l’innovation et de provoquer un changement rapide de paradigme.

Dans la sphère télévisuelle et au cinéma, l’agir dissensuel a même été remis en scène par les producteurs d’attrayants talk shows, par exemple. Ils parviennent ainsi à engendrer le paraître de fractions sociales et de proposer des happy end tant recherchés par les humains stressés de l’époque contemporaine. Résoudre le dissensus dans les productions audiovisuelles sert ainsi de catharsis pour guérir des affections sociales profondes. De Washington à Doha, l’on entend pourtant sortir plus régulièrement de la bouche des Congolais l’expression similaire de « causes profondes du conflit ». Avouons que le rapprochement n’est pas superficiel.

  1. Communication dialogique

A partir de cette cohabitation naturelle du consensus et du disssensus, l’on peut ainsi s’autoriser de ressusciter le pléonasme de « communication dialogique », suggéré auparavant par Mikhaïl Bakhtine mais devenu scientifiquement obsolescent. Dans cette optique, le consensus et le dissensus ne seront plus à percevoir comme deux pôles antagoniques et irréconciliables. Ils ne sont, tout compte fait, que deux segments du processus communicationnel. L’un génère une disharmonie passagère tandis que l’autre crée le progrès innovateur, tel qu’issu de l’au-délà des frictions inhérentes à la communication humaine.

Le dialogue actuel ou à venir entre Congolais est, lui aussi, fait de tous ces bonds, entre silence et parole, entre injures et louanges, entre hauts et bas. L’essentiel est d’accomplir, en définitive, une lecture intelligente de chacune des temporalités communicationnelles. Le dialogue est donc à prendre, en sa positivité, comme un instant de rupture du temps d’enlisement et d’infertilité idéelle. Comme l’estimait Platon, le dialogue n’est, somme toute, qu’un catalyseur conduisant vers le vrai collectif. L’expérience congolaise n’échappera pas à cette règle générale.

  1. Bibliographie sélective

Bakhtine, M. (1977)

Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard

Charaudeau, P. (1997)

Le discours politique, Paris, Hachette

Ekambo, J.C. (2009)

De l’information et la communication. Du chronique à l’uchronique,

Paris, L’Harmattan

Habermas, J. (1987)

Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard

Rancière, J. (2000)

Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La Fabrique.

Wolton, D. (1997)

Penser la communication, Paris, Flammarion.

Une analyse du professeur Madeleine Mbongo Mpasi

 

 

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